8 Réaliser ou utiliser une modélisation hydrologique

Le présent chapitre aborde les questions essentielles à se poser avant toute mise en place ou utilisation d’une modélisation hydrologique. Nous nous situons ici dans le cadre d’une modélisation d’hydrologie naturelle, c’est-à-dire représentant uniquement les processus naturels, et non les activités anthropiques sur le bassin.

8.1 Quand et pourquoi ?

Plusieurs raisons peuvent conduire à la mise en place d’une modélisation hydrologique. Ces éventualités sont listées ci-dessous, et la question de la pertinence de cette modélisation est abordée dans chacun des cas.

8.1.1 Se projeter dans le futur

Une des principales raisons d’une modélisation hydrologique est de se pouvoir ensuite se projeter dans le futur à partir de projections climatiques. Et c’est de fait un des principaux ojectifs du projet Explore2 : transformer les chroniques de projections climatiques à haute résolution sur la France en chroniques de variables hydrologiques, principalement débit et hauteur de nappe. Vou devez à ce stade de l’aventure avoir compulsé et recompulsé le grimoire Explore2, et vous avez pleinement consicence que l’ensemble de la France est ainsi concerné par les simulations hydrologiques réalisées dans le cadre du projet Explore2. Votre territoire est donc selon toutes probabilités récepteur de telles simulations.

Cela restreint donc fortement la nécessité de mettre en place une modélisation hydrologique spécifique sur votre territoire. Ceci est d’autant plus vrai que le signal d’effet du changement climatique sur les variables hydrologiques est très lisse dans l’espace. Par exemple, les changements projetés du débit moyen annuel sont très proches – en pourcentage – d’une station à sa voisine.

8.1.2 Revenir dans le passé

Un modèle hydrologique peut de manière symétrique permettre de reconstruire l’hydrologie de périodes passées pour lesquels aucune mesure hydrométrique n’est disponible. C’est notamment ce qui a été fait à partir de la réanalyse météorologique FYRE Climate qui couvre la période 1871-201242. Une modélisation hydrologique basée sur le modèle GR6J a ainsi permis de reconstruire les chroniques de débits journaliers sur cette période pour plus de 600 bassins versants faiblement anthropisés sur la métropole. Ces bassins incluent ceux du Réseau de Référence pour la Surveillance des Étiages (RRSE) décrit plus haut. Ce type de reconstruction peut ainsi permettre de remettre des événements récents dans un contexte historique long de 150 ans. Des études ont ainsi été réalisées plus particulièrement sur les étiages43 et notamment celui de 202244.

8.1.3 Extrapoler dans l’espace

La troisième utilisation d’un modèle d’hydrologie naturelle consiste à simuler des débits et/ou des niveaux de nappe là où il n’y a pas d’observations. Si les deux sections précédentes décrivaient une extrapolation temporelle, celle-ci touche l’extrapolation spatiale. L’exemple est encore une fois donné par le projet Explore2. En effet, les modèles hydrologiques mis en oeuvre dans le cadre du projet sont calés sur un ensemble réduit de stations jaugeant des bassins versants faiblement anthropisées et des nappes localement faiblement influencées, identifiées au préalable45. Suivant leur discrétisation spatiale propre, les modèles sont ensuite capables d’extrapoler le long du réseau hydrographique pour fournir des résultats en tout ou partie des 4369 points de simulation décrits dans le grimoire Explore2.

8.2 Par qui et pour qui ?

La section précédente a montré que votre quête se trouve a priori grandement facilitée par les exercices nationaux de modélisation hydrologique effectués par la communauté nationale de recherche en hydrologie. Ces exercices couvrent en effet une grande partie du réseau hydrographique et des nappes de la métropole. Une modélisation hydrologique supplémentaire s’avèrera nécessaire seulement si des points du réseau ou des périodes temporelles d’intérêt n’ont pas été pris en compte dans ces exercices.

Il est opportun ici de garder à l’esprit que les signaux liés au changement climatique sont très lisses dans l’espace, et les signaux robustes de changement de l’hydrologie naturelle – autant en tendances sur le passé qu’en projections pour le futur – sont de fait très homogènes dune station proche à ses voisines, sauf bien sûr dans des cas de discontinuités fortes sur le comportement naturel des bassins versants (changement de géologie, etc.). Et il y a forcément un point de simulation Explore2 près de chez vous (voir Figure 6.2).

8.3 Exemples du projet LIFE Eau&Climat

Dans le cadre du projet LIFE Eau&Climat, trois cas seulement ont nécessité la mise en place d’une modélisation dédiée. Il s’agissait à chaque fois de projeter dans le futur des variables hydrogéologiques (recharge, niveaux de nappes).

Pour deux des trois cas, il s’agissait de procéder à un nouveau calage d’une partie d’un modèle hydrogéologique spatialisé existant. Une partie d’entre eux a d’ailleurs participé au projet Explore2 (voir la section dédiée de ce livre sur les modèles hydrogéologiques). Dans le cadre d’une convention de R&D, Le BRGM a ainsi procédé à une modélisation sur deux territoires de partenaires du projet :

Dans ces deux cas, une recalibration ou une rédadaptation des modèles hydrogéologiques antérieurs a été nécessaire pour une raison précise : les versions existantes avaient été calibrées avec une évapotranspiration de référence calculée avec le rayonnement issu de la réanalyse Safran. Ce rayonnement a depuis été considéré comme présentant des variations temporelles irréalistes, une nouvelle version du calcul de l’évapotranspiration de référence a été proposée et utilisée dans le cadre du projet Explore2, à la fois pour les simulations rétrospectives et les projections climatiques. Les modèles hydrogéologiques du BRGM évqués ci-dessus ont donc du être modifiés en conséquence pour assurer une cohérence avec cette nouvelle évapotranspiration de référence. Plus d’information sur le calcul de cette évapotranspiration de référence est disponible sur une page dédiée de l’espace Accompagnement du site DRIAS-Climat.

Enfin, le bureau d’études ANTEA a mis en place pour l’Établissement Public Territorial de Bassin de la Vienne une modélisation du bassin versant de la Vienne avec le modèle GARDENIA développé par le BRGM. À noter que ce même bureau d’études a par ailleurs tiré profit des simulations d’hydrologie de surface du modèle SIM2 réalisées dans le cadre du projet Explore2 et mises à disposition sur DRIAS-Eau.

8.4 Sélectionner une modélisation hydrologique

Vous l’aurez compris, de gros efforts de modélisation hydrologique ont été réalisés dans le cadre du projet Explore2 et toutes ces modélisations sont progressivement mises à disposition sur le site DRIAS-Eau. Une des principales tâches que vous aurez à accomplir lors de votre quête sera donc simplement – si l’on peut dire – la sélection de modélisations hydrologiques qui puissent répondre à vos interrogations sur votre territoire. Cette sélection peut se décomposer en trois étapes faisant l’objet des sections suivantes.

8.4.1 Identifier les types de variables ciblées

Trois grandes types de variables peuvent être considérés : les débits, les niveaux de nappes, et les autres variables hydrologiques telles que l’humidité du sol. Selon la variable ciblée, vous aurez un choix plus ou moins grand parmi les modèles mis en œuvre dans le projet Explore2. Seuls les modèles hydrogéologiques vous donneront ainsi l’évolution des niveaux des nappes. La variable la plus communément disponible est bien sûr le débit en rivière.

8.4.2 Identifier les modèles sur votre territoire

Tous les modèles d’Explore2 proposent des simulations sur des territoires donnés listés sur les Tables 5.1 et 5.2 du chapitre Identifier les modélsations disponibles. Vous n’aurez donc par exemple pas accès à des simulations du niveaux de la nappe d’accompagnement du fleuve Rhône.

8.4.3 Sélectionner les modèles pouvant répondre aux questions posées

La performance d’un modèle dans le climat présent est souvent un préalable à son utilisation dans un climat futur, même si des informations pertinentes peuvent souvent être extraites de modèles pourtant moins bien évalués. La performance d’un modèle est une évaluation qui dépend considérablement des attentes de l’utilisateur. Un modèle hydrologique peut en effet bien reproduire les étiages et pas les crues ou le contraire, reproduire la saisonnalité de la fonte des neiges et pas son amplitude, etc. Il importe donc de vérifier ques les modèles sélectionnés reproduisent bien les caractéristiques sépcifiques qui font l’objet de votre étude.

Le diagnostic des modèles hydrologiques Explore2 à fait l’objet d’un rapport spécifique46. 14 indicateurs ont été retenus pour évaluer les modèles d’hydrologie de surface sur :

  • la performance globale47 : critère de Kling-Gupta sur la racine des débits et biais ;

  • la sensibilité climatique48 : sensibilité aux précipitations/températures hivernales/estivales ;

  • les hautes eaux : reproduction du quantile 10 des débits et de la saisonnalité des débits journaliers maximums annuels ;

  • les eaux moyennes : reproduction de la pente de la courbe des débits classés et de la pente de la tendance sur les débits annuels ;

  • les basses eaux : reproduction du quantile 90 des débits et de la saisonnalité des débits minimums sur 10 jours ;

  • la robustesse climatique49 : robustesse des biais annuels par rapport aux précipitations/températures.

Pour chacune des stations hydrométriques de référence (Figures 6.3), une fiche diagnostic a été créée pour répertorier l’ensemble des indicateurs décrits au-dessus. Ces fiches stations, élaborés dans le cadre du projet Explore2, sont mises à disposition via une interface cartographique sur une [page dédiée]{https://www.drias-eau.fr/accompagnement/sections/400} de l’espace Accompagnement du portail DRIAS-Eau. Une notice de lecture de ces fiches diagnostic50 est disponible sur HAL . Chaque fiche station permet ainsi de repérer les avantages et les défauts de chacun des 7 modèles hydrologiques de surface pour la station en question, et pour chacune des grandes caractéristiques hydrologiques (régime, crues, étiages, etc.).

De plus, une fiche dagnostic régionale a été créée pour chacune des grandes régions hydrographiques (A - Y) pour avoir une vision d’ensemble du comportement de chaque modèle sur l’ensemble des stations de cette région. Ces fiches régionales sont accessibles via la même interface cartographique sur le portail DRIAS-Eau, avec la fiche individuelle de chaque station. L’idée ici est de facilement repérer les modèles ayant des difficultés à représenter des comportements hydrologiques spécifiques, comme par exemple la fonte nivale dans les Alpes ou encore le régime de nappes dans le nord de la France.

Votre mission première s’achève ici. Vous avez eu les principales cartes en main pour retrouver l’évolution passée de la ressource en eau sur votre territoire. Si vos points d’endurance vous le permettent, vous pouvez passer à votre mission seconde : composer le futur de la ressource en eau.