7 Analyser et calculer des tendances
Si l’on dispose d’observations sur une période passé relativement longue, il est possible de calculer des tendances pour connaître l’évolution de variables climatiques ou hydrologiques. Cette section vous guide sur la marche à suivre pour répondre à des questions comme : << Pleut-il de moins en moins sur mon bassin ? >> ou << Les étiages se prolongent-ils plus longtemps dans la saison ? >>.
7.1 Prise en compte des connaissances existantes
Encore une fois, l’eau étant déjà assez tiède32, la première chose à faire est de capitaliser sur les études et outils existants, qui sont brièvement listés ci-dessous, tout d’abord pour la partie climat, et ensuite pour la partie hydrologie.
7.1.1 Sur le climat
De nombreuses études ou applications sont souvent amplement suffisantes pour s’appuyer dessus et construire un narratif solide des tendances climatiques observées sur un bassin. Il faut garder à l’esprit que les tendances liées au changement climatique ont une empreinte spatiale large et qu’une visaulisation à l’échelle de la France est suffisante pour appréhender les tendances en cours. Deux sources majeures d’information sont brièvement décrits ci-dessous.
ClimatHD
ClimatHD est l’application de Météo-France donnant accès aux principaux résultats de tendances passées sur différents éléments du climat.
Cette application permet ainsi d’extraire des narratifs par région, mais la période utilisée à cet effet ne va malheureusement pas au-delà du début des années 2010 et ne prend pas en compte les évolutions enregistrées au cours de la dernière décennie. Un exemple est repris ci-dessous pour la région Languedoc-Roussilon :
En Languedoc-Roussillon, comme sur l’ensemble du territoire métropolitain, le changement climatique se traduit principalement par une hausse des températures, marquée surtout depuis les années 1980. Sur la période 1959-2009, on observe une augmentation des températures annuelles d’environ 0.3°C par décennie. À l’échelle saisonnière, ce sont le printemps et l’été qui se réchauffent le plus, avec des hausses de 0.3 à 0.5°C par décennie pour les températures minimales et maximales. En automne et en hiver, les tendances sont également en hausse, mais avec des valeurs moins fortes, de l’ordre de 0.2°C à 0.3°C par décennie. En cohérence avec cette augmentation des températures, le nombre de journées chaudes (températures maximales supérieures ou égales à 25°C) augmente et le nombre de jours de gel diminue. L’évolution des précipitations est moins sensible car la variabilité d’une année sur l’autre est importante. Sur la période 1959-2009 en Languedoc-Roussillon, les tendances annuelles sur la pluviométrie sont en baisse et peu marquées. Ces évolutions favorisent l’augmentation de phénomènes comme la sécheresse et le déficit en eau dans le sol. La durée d’enneigement diminue en moyenne montagne.
ClimatHD propose aussi, avec là des mises à jour régulières, des graphiques de tendances locales à partir des séries homogénéisées présentées dans le chapitre sur la collecte des données. Ces graphiques permettent de bien appréhender les évolutions en cours de manière robuste sur un territoire.
Étude 2022 du Ministère de la Transition Écologique
En juin 2022, le service des données et études statistiques (SDES) du ministère a publié une étude sur l’Évolutions de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 201833. Cette étude propose des tendances sur le climat mais aussi sur des composantes du cycle hydrologique, qui fait l’objet de la section suivante.
Si les études ci-dessus sur les changements climatiques observés en France vous suffisent, alors, vous pouvez passer à la section suivante pour regarder les études existantes sur les tendances hydrologiques. Dans le cas contraire, préparez-vous à effectuer une étude de tendance et commencez par choisir les variables à étudier.
7.1.2 Sur l’hydrologie
Étude OFB-Irstea sur la période 1968-2008
Une étude à l’échelle nationale a été réalisée il y a une dizaine d’années34, et les conclusions sont résumées sur la page Ressource en eau et climat de l’OFB. Cette étude s’appuyait déjà sur le Réseau de Référence pour la Surveillance des Étiages (RRSE) décrit ci-dessous. Elle montrait sur la période 1968-2008 la détection de tendances significatives dans la moitié sud du territoire, avec un débit moyen annuel à la baisse, et des étiages plus précoces et plus sévères. Une synthèse pédagogique de 4 pages présente les résultats de cette étude et est disponible depuis la page de l’OFB : . À noter que la diminution du débit moyen annuel a été retrouvé dans le cadre d’une étude couvrant l’ensemble de l’Europe de l’ouest, avec un gradient nord-sud des tendances (augmentation dans le nord et de l’Europe et diminution dans le sud)35.
MAKAHO
L’étude précédente a été mise à jour et intégrée dans l’interface MAKAHO développée en 2021-2022 par INRAE. MAKAHO (pour MAnn-Kendall Analysis of hydrological Observations) est un système de visualisation cartographique intercatif permettant d’examiner les tendances présentes dans les données des stations hydrométriques aux débits peu influencés par les actions humaines. Le test de Mann-Kendall permet d’analyser la significativité des tendances de variables hydrologiques sur les différentes composantes du régime des cours d’eau (étiages, moyennes-eaux, crues), à mettre ensuite en relation avec les impacts du changement climatique sur l’hydrologie de surface.
MAKAHO vous permet d’afficher les tendances sur des stations individuelles et d’exporter les images comme montré sur la Figure 7.3, mais aussi de télécharger les chroniques temporelles de la caractéristique de débit analysée.
Cet outil est largement suffisant pour identifier les tendances à l’échelle régionale, c’est-à-dire celles indéniablement liées à l’évolution du climat. Les spécificités locales identifiables sur une carte peuvent être dus à de nombreux facteurs locaux sans rapport avec le changement climatique : problèmes de mesure, lacunes dans lesséries, influence anthropiques résiduelle sur le bassin versant, etc. Le message probablement le plus marquant que l’on peut obtenir avec cet outil concerne les tendances sur le débit moyen annuel. En effet, cette variable est probablement celle ayant la plus faible variabilité naturelle d’une année sur l’autre, ce qui favorise donc l’identification de tendances liées au changement climatique. L’exemple en est donné sur cette carte de la Figure 7.4 à l’échelle de la France, qui présente différents niveaux de confiance dans la détection de tendances significatives, là ou ce niveau est réglable avec MAKAHO.
Le niveau de confiance est par exemple réglé à 90% sur la Figure 7.2, ce qui correspond à une signficativité statistique du test de Mann-Kendall au niveau 10%. Un niveau de confiance, plus haut, par exemple 95%, sear plsu exigeant et restreindra ainsi le nombre de points où la tendance est détectée statistiquement. Pour les détails techniques, voir plus loin comment calculer la significativité statistique du test de Mann-Kendall.
L’ensemble des outils décrits brièvement ci-dessus devraient vous permettre de terminer votre mission première, car ils contiennent probablement assez d’information sur les évolutions en cours du climat et de l’hydrologie pour pouvoir passer à l’action. Si vous êtes intéressés par (1) des variables non prises en compte, (2) des territoires très spécifiques et très locaux, ou encore (3) des périodes plus anciennes, alors il vous faudra poursuivre votre quête et apprendre à calculer des tendances.
7.2 Calculer des tendances passées
Calculer des tendances passées et relativement simple mais un grand nombre de pièges potentiels vous attendent, comme dans toute analyse de données. Il vous faudra ainsi faire des choix cruciaux de variable, de période, et de niveau de confiance.
7.2.1 Quelle variable pour quel message ?
Pour pouvoir calculer des tendances sur une période passée, il faut considérer des variables au pas de temps annuel et appliquer un test de tendance sur la chroniques de ces valeurs annuelles. Ces varaibles peuvent être de nature très variées, comme par exemple la valeur maximale des précipitations journalières pour une année hydrologique, ou encore le nombre de jours d’une année civile pendant lesquels le débit était sous un seuil donné. Du choix de cette variable va donc dépendre le message que vous pourrez tirer de l’analyse de tendance.
Plus généralement, cette variable ne doit dépendre que du climat, et non d’actions anthropiques sur le bassin, puisque votre présente quête se focalise sur les changements du climat et de l’hydrologie naturelle ou faiblement anthropisée. Deux exemples classiques pour appuyer ce point, au travers de deux graphiques. Le premier d’entre eux, ci-desous, représente la chroniques de débits moyens du mois d’août à la station de Vieille-Brioude. On observe une augmentation de ces débits au cours du temps, qui serait confirmé par un test statistique. Cette augmentation est le fruit des opérations de soutien d’étiage du barrage de Naussac mis en service en 1983, et ne peut donc être attribué au climat.
Le graphique ci-après représente lui aussi les débits à la même station, mais cette fois-ci en termes de moyenne annuelle. La gestion du barrage de Naussac n’étant pas pluriannuelle, les opérations de stockage-déstockage devraient s’équilibrer sur l’année. On observe pourtant une diminution claire du débit moyen annuel, dû lui à une augmentation de l’évapotranspiration sur le bassin, augmentation bien entendu consécutive au réchauffement climatique.
Quel jeu de données ?
Deux jeux de données ont été spécifiquement élaborés pour permettre une analyse de tendances dont l’origine ne peut être liée qu’au climat :
Les séries météorologiques homogénéisées36, présentées au-dessus, avec les séries quotidiennes de référence associées présentées juste en-dessous ;
Le Réseau de Référence pour la Surveillance des Étiages (RRSE)37, présentées aussi plus haut.
L’utilisation des autres jeux de données présentés dans le chapitre Collecter les données vous expose donc à des incertitudes plus ou moins fortes sur l’attribution de tendances (ou d’absence de tendances) au changement climatique en cours.
Quelle période pour quel usage ?
La période considérée va grandement conditionner les résultats de signficativité d’une tendance, en fonction de la part relative entre la variabilité naturelle interannuelle à décennale du climat et le changement climatique anthropique38. En règle générale, une longueur d’au moins 30 ans est nécessaire pour pouvoir détecter statistiquement une tendance se superposant à la variabilité interannuelle. Il est par ailleurs préférable de terminer la période d’étude sur une année très récente pour prendre en compte les évolutions en cours.
7.3 Élements méthdologiques pour effectuer une étude de tendance
Comme évoqué précédemment, le test statistique utilisé pour détecter une tendance est le test non paramétrique de Mann-Kendall39 classiquement utilisé en climat et hydrologie.40 De nombreuses implémentations de ce test existent, notamment dans le langage R. Il est recommandé d’utiliser la variante de ces tests qui prend en compte une hypothèse d’autocorrélation d’une année sur l’autre, notamment pour des variables liées à des nappes à forte inertie.
Il est important de noter que le test de Mann-Kendall répond seulement à la question de la significativité d’une tendance. La valeur de cette dernière doit être calculée de manière additionnelle, de préférence en utilisant la pente de Theil-Sen41 – la médiane de toutes les pentes possibles – qui est plus robuste qu’une pente estimée par régression linéaire.
L’interface MAKAHO, qui applique ce test à la demande, utilise le package R EXstat qui effectue à la fois le calcul du test statistique et celui de l’estimation de la valeur de la tendance.
À présent que vous avez parcouru l’ensemble des arcanes de la détection de tendances, vous pouvez passer à l’examen d’un autre volet de l’hydrologie : la modélisation